Parmi les ambitions affichées par la réforme de l’apprentissage, celle d’en faire une « voie d’excellence » apparaît comme la plus largement exprimée. Cette expression révèle pourtant les ambiguïtés et les confusions quant aux caractéristiques de l’apprentissage en particulier, et de la formation professionnelle initiale en général. Les ambiguïtés apparaissent lorsque l’on évoque l’orientation des jeunes vers l’apprentissage. Les confusions sont fréquentes entre voies, parcours, cursus, certifications, statuts, modalités pédagogiques et structures de formation. Alors que le chômage des jeunes constitue le premier fléau à combattre, l’enjeu est d’assurer, pour chaque jeune, un parcours de réussite assurant une insertion professionnelle et la capacité à s’orienter et se former tout au long de la vie. Pour cela, il importe de lever les ambiguïtés, clarifier les objectifs et impliquer tous les acteurs concernés. 

Lever les ambiguïtés de l’orientation 

L’orientation scolaire s’établit sur la base du projet de l’élève théoriquement construit dans le cadre du dispositif « parcours avenir », mais surtout sur les résultats scolaires. La procédure d’orientation en fin de troisième aboutit, en règle générale, à ce que les élèves dont les résultats scolaires ne sont pas jugés satisfaisants soient orientés vers la voie professionnelle pour s’engager dans la préparation d’un diplôme via l’apprentissage ou le lycée professionnel. Les élèves en réussite qui souhaiteraient devenir apprentis sont alors encouragés à renoncer à leur projet qui « manquerait d’ambition » et à poursuivre leurs études. Dans la logique du système éducatif et de la hiérarchisation des voies de formation, la voie professionnelle est d’abord celle des jeunes qui souhaiteraient une formation plus concrète, permettant une entrée plus rapide dans la vie active. Perdure, malgré la réforme du collège ( qui vise à l’acquisition d’un socle commun), du baccalauréat professionnel, du développement des formations professionnelles et de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, l’idée que la véritable voie d’excellence est celle qui mène aux grandes écoles en passant par un baccalauréat scientifique. Dès lors, il est difficile de considérer que l’apprentissage soit valorisé, puisqu’il serait d’abord « destiné  aux jeunes qui n’aiment pas l’école ». 

Il faut également souligner que l’apprentissage est une modalité particulière de la voie professionnelle, le plus souvent externe à l’Éducation nationale, et dont la porte d’entrée passe par la signature d’un contrat d’apprentissage entre un employeur et un jeune. Ces deux dimensions pèsent très lourdement. D’une part, la valorisation de l’apprentissage ne peut s’effectuer sans valorisation globale de la voie professionnelle sous toute ses formes, sauf à exacerber les tensions entre les acteurs des deux modalités de formation : CFA versus lycées professionnels, et à dévaloriser l’une des modalités par rapport à l’autre. D’autre part, par culture, ignorance, pragmatisme, idéologie ou effet mécanique, de la part de l’institution et des acteurs de l’Éducation nationale, l’apprentissage reste peu valorisé parce que la recherche d’un employeur est préalable à toute entrée en apprentissage, ce qui suppose un engagement du jeune et de sa famille bien en amont de la fin de la classe de troisième, qui nécessite de surcroit des réseaux. Alors que, par effet du système d’orientation et d’affectation, sans démarche particulière, une place sera trouvée en lycée professionnel. 

Les ambiguïtés du discours autour de la « voie d’excellence » de l’apprentissage se révèlent donc d’abord par la hiérarchisation et la structuration des parcours de formation, de surcroit en voies quasi-étanches, ensuite du fait que l’apprentissage n’est pas une voie mais une modalité de la voie professionnelle, et enfin parce que l’apprentissage exigerait des relations réelles et en confiance entre les structures organisant l’apprentissage à travers notamment les chambres consulaires, et l’Education nationale. Pour lever ces ambiguïtés, qui se traduisent par l’expression d’une concurrence entre structures de formation professionnelle initiale, c’est une autre organisation de l’orientation et des parcours de formation qui s’impose. 

Clarifier les objectifs 

L’apprentissage se caractérise à la fois par une modalité pédagogique  particulière qu’est l’alternance, par le statut de contrat de travail qu’est le contrat d’apprentissage, et par les structures de formations qui accueillent les apprentis que sont, en règle générale,  les CFA, centres de formation d’apprentis. 

Poser l’alternance comme modalité pédagogique est fondamental pour mesurer les enjeux d’une formation qui vise la maitrise et la validation de compétences professionnelles à travers l’obtention d’un diplôme, et l’insertion.  L’alternance suppose que la formation soit assurée alternativement en situation professionnelle réelle et en centre de formation. Si l’apprentissage prévoit que les temps de formation soient globalement partagés à part égale entre les deux lieux d’activité de l’apprenti, l’alternance existe également en lycée professionnel à travers les périodes de formation en entreprise qui occupent 20 % du temps de formation des élèves, soit 22 semaines sur un cycle de trois ans pour un baccalauréat professionnel. Dans les CFA comme dans les formations sous statut scolaire, la co-responsabilité des formateurs est engagée, l’activité en entreprise est utilisée comme support de formation, et la formation professionnelle en centre de formation ou lycée professionnel vise à assurer l’acquisition de toutes les compétences non préparées en entreprise, exigées pour l’obtention du diplôme. L’alternance est également largement utilisée comme modalité pédagogique dans les formations de l’enseignement supérieur, notamment dans les formations médicales ou d’ingénieur. 

Il serait temps que les commentateurs cessent d’opposer l’apprentissage à la formation générale, en ignorant toutes les modalités d’alternance mise en œuvre dans les formations professionnelles sous statut scolaire ou universitaire depuis de nombreuses années. 

Le contrat d’apprentissage est un contrat de travail qui en respecte les principes et les conditions. La principale difficulté pour un jeune qui cherche un apprentissage est de trouver le ou la chef d’entreprise qui va l’embaucher. Dans un secteur géographique éloigné des grands centres urbains, ou dans un quartier de périphérie mal desservi, la question de la mobilité est cruciale et constitue souvent un obstacle. A ceci se surajoute les problèmes de discriminations qui affectent toutes les formes d’embauche. La question de la rupture du contrat est également un sujet préoccupant. Estimé à 27 % en 2015 par l’IGAS, le risque de rupture est d’autant plus fort que l’apprenti est jeune, avec un faible niveau de formation, et un projet d’orientation peu préparé. 

Les centres de formation d’apprentis relèvent des branches, d’associations ou des chambres consulaires, avec le droit spécifique qui les concerne. Existent par tradition des CFA publics annexés à des lycées professionnels en Alsace-Moselle, des CFA dans les lycées agricoles, et des unités de formation d’apprentis se sont développées dans certains établissements scolaires depuis dix ans. L’organisation des formations nécessite une ingénierie pédagogique particulière puisque l’alternance suppose la relation entre le formé, les formateurs et le maitre d’apprentissage. L’organisation de l’alternance, le suivi des apprentis, la préparation pédagogique, les relations avec les entreprises, ou la nécessaire différenciation des enseignements selon les profils d’élève exigent un haut niveau de compétences et d’adaptation de la part des acteurs de la formation. Ce haut niveau de compétences n’est d’ailleurs pas reconnu à sa juste valeur, si l’on en juge la précarité qui règne dans les CFA et les faibles niveaux de rémunérations. Par ailleurs, la difficulté principale du développement de l’apprentissage en lycée professionnel relève d’abord de l’organisation pédagogique. En effet, l’organisation des services des enseignants en lycée professionnel est calquée sur celle des autres personnels du second degré que sont les certifiés, sur la base d’un service hebdomadaire de 18 heures d’enseignement par semaine pour 36 semaines de cours annuels. Même si ce statut a été modifié en 2014 intégrant toutes les missions liées au service d’enseignement, il n’est pas adapté aux modalités spécifiques de l’apprentissage, et notamment au rythme de l’alternance et au suivi des élèves. La mixité des publics qui existe à titre expérimental, associant élèves et apprentis, pose d’énormes difficultés d’organisation pédagogique et est perçu comme une charge supplémentaire non reconnue. La résistance à l’apprentissage dans les lycées professionnels est avant tout liée à cette difficulté. 

Les mesures prévues dans le projet de loi « pour choisir son avenir professionnel » visant à modifier le pilotage des structures de formation,  le financement et la nature du contrat d’apprentissage devraient apporter quelques réponses à ces difficultés, mais ni la mobilité ni l’accès aux réseaux des entreprises à la recherche d’un ou d’une apprenti.e n’y sont traités. Actuellement, certaines régions prennent en charge l’accompagnement à l’accès aux employeurs et à la mobilité. La nouvelle configuration qui dessaisit les régions de l’apprentissage interroge sur le maintien de ces dispositifs. Enfin l’insuffisante réflexion sur l’ingéniérie pédagogique nécessitée par l’alternance, une éventuelle modularisation des parcours de formation, et le lien avec les personnels de l’Education nationale, ne contribuent pas à dépasser les difficultés rencontrées. 

Impliquer les acteurs au service des jeunes en formation 

Pour réduire les sorties sans qualification comme les ruptures de contrat d’apprentissage, améliorer l’image et la qualité de la formation professionnelle initiale sous toutes ses formes et favoriser la réussite et l’insertion des jeunes, il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs et dépasser les logiques de structures ou chacun défend son territoire. 

En amont de l’apprentissage, la construction du parcours d’orientation est fondamentale. Elle doit s’appuyer sur l’accompagnement du jeune qui concerne non seulement la communauté éducative dans un collège mais l’ensemble des acteurs du monde professionnel. Il importe que ces acteurs multiplient les occasions de découverte, d’échanges, d’accueil  et de rencontres tout au long de la scolarité en collège et au lycée pour préparer le projet d’avenir que chaque jeune doit pouvoir construire dans un temps dédié à cette recherche, dans la temporalité qui est nécessaire à chaque jeune et qui doit relever de son choix propre. Car une orientation subie multiplie les risques de décrochage ou de rupture de contrat. 

Durant la formation professionnelle, afin de répondre aux besoins et aux attentes des jeunes comme des entreprises, la logique de parcours personnels doit se substituer à celle des voies cloisonnées et irréversibles qui caractérisent l’organisation actuelle de la formation initiale. La mobilité entre les structures de formation, la mixité des publics comme des acteurs de la formation doit s’organiser par une nouvelle ingénierie de formation, qui devrait s’inspirer de celles en œuvre dans les universités, ou les grandes écoles. Cela nécessite la reconnaissance des compétences des personnels, de leur autonomie dans l’organisation pédagogique et dans une organisation des services solidement négociées, notamment à l’Education nationale, qui ne doivent pas dégrader les conditions de travail des personnels. Cela suppose que les acteurs institutionnels et partenaires sociaux soient à même de négocier ces conditions de bon fonctionnement au niveau de proximité le plus pertinent selon les formations et les branches. 

A l’issue de l’apprentissage, l’accompagnement vers l’insertion professionnelle est également fondamentale, en considérant que cette insertion doive s’inscrire dans le cadre de l’orientation et la formation tout au long de la vie. Le rôle des acteurs du service public régional d’orientation, et notamment des missions locales, devrait pouvoir se renforcer dans cette mission, car les premiers mois après la fin de formation constituent un cap délicat, qui peut se traduire par une forme de dévalorisation de soi et l’installation dans un chômage de longue durée. L’élaboration des référentiels des certifications doit intégrer la dimension modulaire et transversale des compétences, en impliquant davantage les branches professionnelles, ce que prévoit d’ailleurs le projet de loi.  

L’enjeu pour l’apprentissage n’est donc pas d’en faire une « voie d’excellence », car cette vision porte en elle l’idée que des « voies » parallèles doivent perdurer, même affublées de passerelles étroites,  et qu’une « excellence » impliquerait une forme de hiérarchisation des formations, et donc une concurrence qui n’a plus lieu d’être entre les structures de formation. Il s’agit aujourd’hui et sans doute encore plus demain de permettre à chacune et chacun de construire son parcours de formation en disposant de la formation par alternance pour acquérir les compétences citoyennes, professionnelles et transversales, qui assureront une insertion solide et ouvrant des perspectives tout au long de la vie. 

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