Nos dirigeants politiques de droite comme de gauche ont, dans leur ensemble, une conception hiérarchique du politique sur le social et du politique sur le syndical. Cette vision, ancrée dans note culture jacobine française, a comme conséquence directe de cantonner les partenaires sociaux à un rôle réducteur de lobby. Alors qu’ils sont, en fait, des acteurs responsables et constitutifs de la vitalité permanente de notre démocratie. Dans le chapitre sur la démocratie sociale du livre blanc de Démocratie Vivante Protéger mieux pour Travailler mieux, publié en décembre 2017, nous décrivons comment l’exercice du pouvoir en France s’appuie sur un Etat omnipotent qui s’arroge quasi-systématiquement les prérogatives sur le champ du social, sous prétexte que le « politique » doit garder l’apanage de la conduite des réformes. Cette situation engendre inévitablement un rapport déséquilibré au social et aux forces qui l’organisent.
Nous proposons d’inverser la donne pour « augmenter » notre démocratie par une meilleure complémentarité démocratie politique/démocratie sociale, en constitutionnalisant l’article 1 du Code du Travail issu de la Loi Larcher de 2007 : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation. A cet effet, le Gouvernement leur communique un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options (…) ».
S’il appartient à l’État de fixer un cadre général, il revient aux partenaires sociaux d’en organiser la régulation afin de préserver le rôle, la compétence et la responsabilité de chacun pour fixer des normes au plus près du terrain en répondant ainsi aux attentes spécifiques des entreprises et des salariés (tailles d’entreprise, terrains, secteurs d’activité, etc.). En donnant la prérogative de concevoir des mesures, des réformes et des changements aux acteurs-même de leurs déploiements, n’est-ce pas-là un facteur sûr et fiable de leur engagement et le gage de l’efficacité de leur mise en action ? Il nous paraît, de plus, évident qu’en re-positionnant les partenaires sociaux à leur juste place, avec la reconnaissance du rôle qui leur est dévolu, nous gagnerons en vitalité démocratique notamment, par l’intégration dans notre démocratie du domaine socioéconomique avec une population qui, elle, se déplace dans les isoloirs – +65% de votants en entreprise.
Cette articulation démocratie sociale/politique, que nous appelons de nos voeux, ne pourrait-elle pas dès lors, s’avérer être un remède efficace pour lutter contre le « déficit démocratique » actuel ? En tant que promoteurs de la démocratie sociale et de ses acteurs, nous refusons de nous résigner face la crise politique qui perdure (montée des extrêmes, abstentions records, etc.) et prétendons que cette nouvelle gouvernance de notre pays permettrait de donner à nos concitoyens un nouveau souffle, une nouvelle force à cette démocratie qu’Emmanuel Macron qualifie lui-même de « confisquée »*.
Nous croyons, qu’aujourd’hui existe une opportunité, une fenêtre de tire avec la réforme à venir de la Constitution. La «constitutionnalisation du dialogue social » représente la reconnaissance hautement emblématique de la place de « prélégislateurs » aux partenaires sociaux et du rôle prépondérant de la négociation collective qui serait gravée dans le marbre de notre loi fondamentale. Cette nouvelle disposition permettrait d’aller plus loin que l’avancée déjà opérée en 2007 avec la loi Larcher. Cette démarche implique l’engagement de la part du pouvoir politique d’acter les résultats de la négociation productrice de droits en leur donnant, par ordonnance, force de loi.
Il nous paraît primordial de passer par une reconnaissance effective de l’autonomie du social par rapport au politique, dans les pratiques, dans les actes et dans l’exercice du pouvoir. Cette mécanique doit être claire tant à l’égard du Parlement que pour les partenaires sociaux. Cette clarté peut aller jusqu’à annoncer dès le départ, qu’en l’absence d’accord contractuel, le politique ne légifèrera pas sur les sujets dont il décide volontairement de se dessaisir. Restent aux acteurs sociaux de prendre leur responsabilité et aux responsables politiques d’en comprendre l’enjeu.
Par Aude de Castet
* Emmanuel Macron, discours de Strasbourg le 04/10/2016