Faut-il brûler le paritarisme ? Dès l’été 2016, Jean Grosset et Alain Olive, respectivement conseiller social de Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, et ancien secrétaire général de l’Unsa tiraient à ce sujet la sonnette d’alarme. Le 29 juin, l’Observatoire du dialogue social de la fondation Jean Jaurès, publiait sous leur plume une note titrée : « Pour un réformisme de gauche : renforcer la démocratie sociale et la négociation collective ». Dans ce texte, les deux hommes s’inquiétaient de la volonté de la droite républicaine et du Front National de « délégitimer les syndicats et bâtir sans eux une nouvelle forme de représentation des salariés ». En s’alarmant des conséquences d’une telle réforme pour les salariés et les employeurs.

Pour les leaders de la droite, apparemment, ce n’est pas encore suffisant. Ils veulent aussi en finir avec le paritarisme. Ce système, où siègent à parts égales les représentants des chefs d’entreprise et des travailleurs régit la vie sociale française : retraites, assurance-maladie, assurance- chômage, formation professionnelle, etc.

Ce n’est pas tout. En octobre 2016, Jean-Charles Simon, ancien directeur-général délégué du MEDEF (1999-2010) et ancien directeur des études du RPR (1998-1999), aujourd’hui dirigeant de Stacian, une société d’intelligence statistique et d’analyses économiques, publie une note. Son titre ? « Faut-il en finir avec le paritarisme ? ». Un véritable chiffon rouge contre ce qui incarne le fondement de la démocratie sociale en France.

Les chiffres-clés

Le paritarisme représente la gestion de la bagatelle de plus de 130 milliards d’euros de budgets sociaux, soit un quart de la protection sociale de notre pays. Ses institutions regroupent près de 100 000 salariés, selon le rapport parlementaire rédigé en juin 2016 par le député centriste Arnaud Richard et dont le socialiste Jean-Marc Germain fut le rapporteur (*).

Le paritarisme est un élément essentiel du système social français. C’est un choix de notre société, avec son viatique, le dialogue social.

Il régit donc des institutions essentielles du secteur social (retraites complémentaires, assurance-chômage, formation), mais pas seulement. Le rapport d’information d’Arnaud Richard nous rappelle que si la notion de « paritarisme » est ancienne (elle peut indirectement remonter à plusieurs siècles), le mot de « paritarisme » est beaucoup plus récent. Il a été forgé et popularisé en 1961 par André Bergeron, alors secrétaire général de FO, pour qualifier le mode de gouvernance créé pour l’assurance-chômage. Très vite, il a désigné les organismes au sein desquels patronat et syndicats, égaux en nombre, les co-gèrent.

Le paritarisme n’est pas à bout de souffle.

Dans un monde plus tenté par les bénéfices financiers à court terme que par l’intérêt général, le paritarisme est bien vivant. Sans lui, quid des allocations chômage ou des retraites ? Les partenaires sociaux, y compris sur des sujets divergents, parviennent le plus souvent à des accords pour faire fonctionner le système avec comme objectif l’intérêt des salariés et des entreprises, mais aussi et surtout, l’intérêt de la société française. Il tire sa légitimité de la représentativité de ses acteurs, représentants des organisations de salariés et des entreprises. La notion de gouvernance est bien souvent volontairement réduite à la notion de gestion et le plus souvent associée à une gestion défaillante. Bien sûr, la gouvernance consiste à gérer des organismes. Mais c’est aussi, peut-être surtout, pour les partenaires sociaux, faire progresser l’intérêt général, grâce à leur sens des responsabilités, par le dialogue social.

Nous sommes donc bien loin « d’un système corporatiste », ou de préservation d’acquis sociaux, comme peuvent le dénoncer certains.

Selon Jean-Charles Simon « l’intérêt direct des organisations a souvent primé sur celui des adhérents ». C’est faux. A partir de positions qui peuvent être divergentes, l’intérêt général « tire les discussions par le haut » et la solution trouvée se situe au-dessus des querelles partisanes. C’est la façon de trouver LA bonne solution. Le mythe du « consensus mou » ne s’applique que rarement dans la gouvernance paritaire. Les solutions sont d’intérêt général. Et c’est cela le cœur du paritarisme. Voilà pourquoi il faut le sauvegarder.

Le paritarisme ne freine pas l’innovation

Toujours selon Jean-Charles Simon, le paritarisme « freine la réforme et l’innovation » et « bride la compétitivité et la capacité d’adaptation ». Cela revient à dire que seules les entreprises peuvent faire preuve d’innovation ou qu’il convient de laisser une liberté totale à des structures dont l’objectif est uniquement financier. Si la majorité des innovations technologiques sont le fait d’entreprises, les évolutions durables dans le domaine social ont été mises en place dans le cadre du dialogue social. Les conférences sociales ont montré qu’elles pouvaient avoir un rôle d’accélérateur pour des actions innovantes dans le domaine social, qu’il s’agisse de la démocratie sociale, de l’emploi ou de la formation. Alors, pourquoi laisser penser que seuls le secteur privé ou le marché peuvent faire des réformes ?

Le paritarisme, élément essentiel de la démocratie sociale

« Les partenaires sociaux servent d’alibi à un Etat qui se défausse » selon Jean-Charles Simon. Bien au contraire, le paritarisme est un choix des gouvernements démocratiques. Au nom de la démocratie sociale, l’Etat délègue volontairement son pouvoir de gouvernance aux partenaires sociaux. Cet Etat là n’entend pas régir l’ensemble du domaine social par décret. L’Etat ne confie pas un sujet ou une institution à la gestion des partenaires sociaux pour l’enterrer, mais bien au contraire pour le ou la faire vivre. Donner la priorité au dialogue social est un choix délibéré pour le bon équilibre de la société. Nous avons bien dit «équilibre » : un gouvernement qui prendrait l’essentiel, voire toutes les initiatives dans ce domaine serait taxé, à juste titre, d’interventionnisme ou jugé dictatorial.

Le paritarisme, ça marche et c’est bien géré

Dans sa note, Jean-Charles Simon n’hésite pas à parler d’« un bilan calamiteux » d’« une situation financière catastrophique », et d’« une gestion paritaire défaillante ». Rétablissons la vérité.

Les institutions gouvernées par le paritarisme sont bien gérées.

Les nombreux et réguliers rapports de la Cour des Comptes et des autres structures de contrôle attestent de cette bonne gestion. Lorsque cette note cite la « gestion paritaire défaillante », elle s’appuie sur un tableau des dépenses de Sécurité Sociale. En l’occurrence, ce n’est pas la gestion qui est « défaillante », mais le choix du dispositif de soins à la française ! Une remarque : celui-ci ne devrait pas par ailleurs avoir pour objectif une rentabilité financière, mais bien la santé de la population.

Pourquoi ces institutions paritaires sont-elles bien gérées ?

Essentiellement pour deux raisons. La première, répétons- le, c’est que l’objectif du paritarisme est la réussite des décisions négociées. Aucun des acteurs n’a la volonté d’aller à un échec, bien au contraire. Ils connaissent les intérêts des entreprises et des salariés qu’ils représentent et peuvent à juste titre exprimer leurs volontés. La deuxième est que les partenaires sociaux recherchent eux-mêmes, parfois en raison de leurs différences, des résultats pour montrer précisément que le paritarisme fonctionne.

D’ailleurs, la gestion de ces organismes s’apparente de plus en plus à celle des entreprises privées, a fortiori ces dernières années du fait des restrictions budgétaires. C’est vrai pour la gestion des budgets mais également le management et la gestion des ressources humaines. A une différence près, et de taille : l’objectif n’est pas le profit, mais la gestion au service de la société. Et lorsque la note évoque «  des contrôles insuffisants » et « l’absence de transparence pour des structures paritaires qui brassent pourtant des montants considérables » cela ne reflète pas la réalité, mais bien une volonté de dénigrement pure et simple. Ces institutions sont davantage contrôlées que la majorité des entreprises françaises.

Le paritarisme a un avenir

C’est un modèle qui a fait ses preuves à la fois par le sérieux de l’utilisation des fonds, par leur bonne gestion, y compris en période de crise économique comme celle de 2008 et des années qui ont suivi. Le paritarisme n’est-il pas l’ultime garant de la protection sociale que la révolution technologique met à mal. Il est également le seul, hormis l’Etat, à pouvoir mener des actions sans rentabilité financière, et à long terme, là où une entreprise rechercherait des objectifs visant un bénéfice à court terme.

Le paritarisme constitue un équilibre sain et viable entre les intérêts patronaux et salariés. Il constitue un outil essentiel de fonctionnement de notre démocratie sociale, et ne doit pas céder le pas au libéralisme à tout crin. Comme l’affirme le préambule de l’accord national interprofessionnel de février 2012 sur la modernisation et le fonctionnement du paritarisme, seule cette voie de rencontres collégiales permet les adaptations structurelles mais aussi conjoncturelles du travail et des retraites notamment.

Sources :

  • « Faut-il en finir avec le paritarisme ? » par M. Jean-Charles SIMON – Notes de l’Institut de l’Entreprise – Octobre 2016
  • Rapport d’information sur le paritarisme – N° 3829 du 8 juin 2016 – Assemblée Nationale – Président M. Arnaud RICHARD – Rapproteur M. Jean-Marc GERMAIN
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